FUTUR CONDITIONNEL
de Michael Ghent
Street Level Industries
avec : Agnès Belkadi, Antonio Estevens, Françoua Garrigues et Conchita Paz
Comète 347 - Paris (Septembre 2007)
" Retour dans l'ordre et disparition d'un incitateur.
Tout est rentré dans l'ordre et le message Bitchatch, diparition Ben Barka, Manifeste 41 artistes a été rétabli. Je salue donc la décision des modérateurs d'avoir revu leur position et je supprime du coup, le message évoquant une éventuelle censure puisqu'il n'a plus lieu d'être. Il y a des choses plus importantes. Jean-François Bizot est décédé hier.
Jean-François Bizot et l'équipe d'Actuel première formule, celle de la free press, c'est ma jeunesse, celle de mes vingt ans trois ans. Je fus comme d'autres un correspondant dès le début et, plus tard, si certains s'en souviennent du côté de Mulhouse, nous avions créé Ozone, dans un esprit de filiation, à une quinzaine, moitié filles, moitié garçons. Nous avions rencontré d'ailleurs l'équipe d'Actuel, dont Jean-François Bizot, dans la cité Mulhousienne. Elle avait été invitée, si mes souvenirs sont bons, par la librairie "Maspéro".
Actuel fut pour beaucoup une grande bouffée de liberté, d'ouverture sur la contre culture, la poésie Beat, la musique rock, bien entendu, le jazz free, le Pop Art sans oublier tout l'Underground, les happenings du Living Theater. Et Actuel était une sorte d'accumulateur, qui récupérait les informations et les diffusait. Tout bouillonnait. On lisait Marcuse, William Burroughs, on découvrait Robert Crumb, on écoutait La Monte Young, Frank Zappa, Soft Machine et tant d'autres comme Gong, Velvet Underground, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Love, MC5, Dylan. A la librairie Maspéro, à deux pas de la fontaine Saint-Michel, on se procurait au sous sol la Free Press, The Other east village Scene, Other Scenes, it the International Times, OZ, mais aussi Parapluie, Tout. On plongeait dans les petites salles du quartier latin pour découvrir le cinéma underground, le jeune cinéma Américain, Allemand. Souvenir d'un film avec un plan unique, interminable sur le visage de John Lennon... Higelin, avant la période rock, jouant devant une petite vingtaine de spectateurs sur un des paliers du grand escalier du Palace. S'en souvient-il d'ailleurs? Moi, oui... Tout comme cette saga que fut l'épopée d'Actuel, lors de sa période Free Press.
Il nous reste les livres de Jean-François Bizot, ses romans mais aussi son "histoire de l'Underground" chez Denoël et surtout l'indispensable "Free Press" paru chez Panama, pour se souvenir d'un homme qui provoquait l'émulation. Ainsi, il aurait vraisemblablement apprécié ce texte de Daphné Bitchatch sur Futur Conditionnel où elle évoque avec beaucoup de poésie le travail de mise en scène de Michael Ghent, de la comédienne Agnès Belkadi, de Françoua Garrigues. A découvrir..."
"Très librement inspiré de « La Tempête » de Shakespeare, « Futur Conditionnel » se veut comme un collage de styles, de points de vue, d’images, de mots et de sons.
Dans « La Tempête », tout est manipulé par Prospéro dont le seul but est de regagner son duché et de se venger de son frère. Grâce à ses pouvoirs, il arrive à ses fins et retrouve une place dans la société dont il a été écarté. Dans « Futur conditionnel » on imagine que ses efforts n’ont pas porté leurs fruits. Les figures principales du récit sont restées sur l’île, nous les retrouvons des centaines d’années plus tard, plutôt désenchantés.
Les interprètes évoluent sur un échafaudage de 7 mètres de haut, conçu et construit pour devenir un instrument géant. Le résultat est un mélange de voix et de bruitage, une rencontre entre poésie, pop, musique contemporaine et musique industrielle.
Impressions ressenties/ Daphné Bitchatch :
Déjà il y a le lieu où cela se trace, un lieu étrange, secret, en plein combat au fond d’une impasse faubourg du Temple. Un lieu en lutte, comme éclairé de l’intérieur, dans lequel résonne bien fort les mots de Michael Ghent / Street level industries :« Prochainement, dans le futur, dans l’avenir, demain, bientôt... ».
Des mots interprétés par des funambules en résistance, se balançant et s’accrochant comme ils s’envolent sur un échafaudage sculpturalement falaise d’un futur incarné.
De sirènes à oiseaux deux très jolis anges nous voyagent en rires, dérision et poésie de la révolte. Si belle Agnès Belkadi chante, danse, d’abord chrysalide papillonne en équilibre au dessus de nos têtes jusqu’au ciel d’une lutte battante et forte, nous envoûte, nous réveille, nous aveugle, l’échafaudage devient toile d’araignée où dés l’aube des lumières, des chats y miaulent une drôle de danse à la lune.
La danse commence sans nous prévenir, nous n’avions qu’à être davantage à l’écoute : des ombres se dessinant derrière un voile de sacs en plastique habillant l’échafaudage soupçonné de Sisyphe.
Puis les anges, puis la radio de Prospéro « Ici et maintenant » puis une sensualité étrangement déchirée de mots érotiques balancés à tous vents, à tous maux, soufflés comme un souffleur de verre devenu fou par Françoua Garrigues « Ici et maintenant » l’essentiel avant de mourir même si nous sommes déjà tués. Des terroristes condamnés aux silences, j’ai entendu « des artistes » peut-être me suis-je laissée happer par ce regard incontournable qui tourne tournesol pendant toute notre présence à être là.
Dans ce lieu qui se bat pour dire, les femmes Agnès Belkadi et Conchita Paz se métamorphosent du funambule à l’enfant, de la sorcière à l’ange mais toujours artiste combattante et « damoiselle » envoûtante.
Un homme chat, très long de tout son corps, Antonio Estevens, s’efface parfois pour revenir régulièrement en philosophe nous parler de l’avidité puis il retombe en bébé, en costume dressé d’une couche culotte pour nous parler, la tête à l’envers, « d’une fin du monde qui jamais ne viendra, tant qu’il y en aura préoccupés de se faire des couilles en or... ». On m’avait dit petite que dans les rêves les excréments se transformaient en or dans la réalité.
Françoua Garrigues est un acrobate de l’échafaudage, il crit de toute son énergie, fait tout trembler, s’élance de tout son souffle, nous prenons peur dés qu’il arrive pour les deux beaux oiseaux Agnès Belkadi et Conchita Paz qui continuent de s’y lover seule, chacune dans son monde.
Personne ne se rencontre dans « Futur conditionnel ». Le seul lien entre eux est cette plate forme : l’échafaudage du temps hors temps, dangereux, en équilibre permanent, chacun se parle, nous parle mais jamais ne se touchent ni ne se répondent, ils ne se croisent plus, telles des ombres silencieuses d’un autre lointain. Chacun y joue sa vie, sa force politique, son poids de révolte, sa drôlerie et fragilité. Personne ne compte sur personne.
Une construction burlesque nous enfermera, puis un mur de cartons s’écroulera « L’écroulement de la baliverne... »... Tout est en nous, en dehors de nous, par nous, pour nous, contre nous, personne n’a voulu ça et pourtant.
Un jour l’échafaudage s’écroulera aussi « Prochainement, dans le futur, dans l’avenir, demain, bientôt... » entrecoupé d’une mélopée de l’île, subtile et si joliment rythmée « mégot, papier, cartons, chewing-gum, mégot, papier... », une musique échafaudée, lorsque tout s’écroule.
À nous de lire COURAGE écrit en grand, battant, éclairé comme pour nous prévenir et nous en donner gros le cœur."
Daphné Bitchatch
" Retour dans l'ordre et disparition d'un incitateur.
Tout est rentré dans l'ordre et le message Bitchatch, diparition Ben Barka, Manifeste 41 artistes a été rétabli. Je salue donc la décision des modérateurs d'avoir revu leur position et je supprime du coup, le message évoquant une éventuelle censure puisqu'il n'a plus lieu d'être. Il y a des choses plus importantes. Jean-François Bizot est décédé hier.
Jean-François Bizot et l'équipe d'Actuel première formule, celle de la free press, c'est ma jeunesse, celle de mes vingt ans trois ans. Je fus comme d'autres un correspondant dès le début et, plus tard, si certains s'en souviennent du côté de Mulhouse, nous avions créé Ozone, dans un esprit de filiation, à une quinzaine, moitié filles, moitié garçons. Nous avions rencontré d'ailleurs l'équipe d'Actuel, dont Jean-François Bizot, dans la cité Mulhousienne. Elle avait été invitée, si mes souvenirs sont bons, par la librairie "Maspéro".
Actuel fut pour beaucoup une grande bouffée de liberté, d'ouverture sur la contre culture, la poésie Beat, la musique rock, bien entendu, le jazz free, le Pop Art sans oublier tout l'Underground, les happenings du Living Theater. Et Actuel était une sorte d'accumulateur, qui récupérait les informations et les diffusait. Tout bouillonnait. On lisait Marcuse, William Burroughs, on découvrait Robert Crumb, on écoutait La Monte Young, Frank Zappa, Soft Machine et tant d'autres comme Gong, Velvet Underground, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Love, MC5, Dylan. A la librairie Maspéro, à deux pas de la fontaine Saint-Michel, on se procurait au sous sol la Free Press, The Other east village Scene, Other Scenes, it the International Times, OZ, mais aussi Parapluie, Tout. On plongeait dans les petites salles du quartier latin pour découvrir le cinéma underground, le jeune cinéma Américain, Allemand. Souvenir d'un film avec un plan unique, interminable sur le visage de John Lennon... Higelin, avant la période rock, jouant devant une petite vingtaine de spectateurs sur un des paliers du grand escalier du Palace. S'en souvient-il d'ailleurs? Moi, oui... Tout comme cette saga que fut l'épopée d'Actuel, lors de sa période Free Press.
Il nous reste les livres de Jean-François Bizot, ses romans mais aussi son "histoire de l'Underground" chez Denoël et surtout l'indispensable "Free Press" paru chez Panama, pour se souvenir d'un homme qui provoquait l'émulation. Ainsi, il aurait vraisemblablement apprécié ce texte de Daphné Bitchatch sur Futur Conditionnel où elle évoque avec beaucoup de poésie le travail de mise en scène de Michael Ghent, de la comédienne Agnès Belkadi, de Françoua Garrigues. A découvrir..."
"Très librement inspiré de « La Tempête » de Shakespeare, « Futur Conditionnel » se veut comme un collage de styles, de points de vue, d’images, de mots et de sons.
Dans « La Tempête », tout est manipulé par Prospéro dont le seul but est de regagner son duché et de se venger de son frère. Grâce à ses pouvoirs, il arrive à ses fins et retrouve une place dans la société dont il a été écarté. Dans « Futur conditionnel » on imagine que ses efforts n’ont pas porté leurs fruits. Les figures principales du récit sont restées sur l’île, nous les retrouvons des centaines d’années plus tard, plutôt désenchantés.
Les interprètes évoluent sur un échafaudage de 7 mètres de haut, conçu et construit pour devenir un instrument géant. Le résultat est un mélange de voix et de bruitage, une rencontre entre poésie, pop, musique contemporaine et musique industrielle.
Impressions ressenties/ Daphné Bitchatch :
Déjà il y a le lieu où cela se trace, un lieu étrange, secret, en plein combat au fond d’une impasse faubourg du Temple. Un lieu en lutte, comme éclairé de l’intérieur, dans lequel résonne bien fort les mots de Michael Ghent / Street level industries :« Prochainement, dans le futur, dans l’avenir, demain, bientôt... ».
Des mots interprétés par des funambules en résistance, se balançant et s’accrochant comme ils s’envolent sur un échafaudage sculpturalement falaise d’un futur incarné.
De sirènes à oiseaux deux très jolis anges nous voyagent en rires, dérision et poésie de la révolte. Si belle Agnès Belkadi chante, danse, d’abord chrysalide papillonne en équilibre au dessus de nos têtes jusqu’au ciel d’une lutte battante et forte, nous envoûte, nous réveille, nous aveugle, l’échafaudage devient toile d’araignée où dés l’aube des lumières, des chats y miaulent une drôle de danse à la lune.
La danse commence sans nous prévenir, nous n’avions qu’à être davantage à l’écoute : des ombres se dessinant derrière un voile de sacs en plastique habillant l’échafaudage soupçonné de Sisyphe.
Puis les anges, puis la radio de Prospéro « Ici et maintenant » puis une sensualité étrangement déchirée de mots érotiques balancés à tous vents, à tous maux, soufflés comme un souffleur de verre devenu fou par Françoua Garrigues « Ici et maintenant » l’essentiel avant de mourir même si nous sommes déjà tués. Des terroristes condamnés aux silences, j’ai entendu « des artistes » peut-être me suis-je laissée happer par ce regard incontournable qui tourne tournesol pendant toute notre présence à être là.
Dans ce lieu qui se bat pour dire, les femmes Agnès Belkadi et Conchita Paz se métamorphosent du funambule à l’enfant, de la sorcière à l’ange mais toujours artiste combattante et « damoiselle » envoûtante.
Un homme chat, très long de tout son corps, Antonio Estevens, s’efface parfois pour revenir régulièrement en philosophe nous parler de l’avidité puis il retombe en bébé, en costume dressé d’une couche culotte pour nous parler, la tête à l’envers, « d’une fin du monde qui jamais ne viendra, tant qu’il y en aura préoccupés de se faire des couilles en or... ». On m’avait dit petite que dans les rêves les excréments se transformaient en or dans la réalité.
Françoua Garrigues est un acrobate de l’échafaudage, il crit de toute son énergie, fait tout trembler, s’élance de tout son souffle, nous prenons peur dés qu’il arrive pour les deux beaux oiseaux Agnès Belkadi et Conchita Paz qui continuent de s’y lover seule, chacune dans son monde.
Personne ne se rencontre dans « Futur conditionnel ». Le seul lien entre eux est cette plate forme : l’échafaudage du temps hors temps, dangereux, en équilibre permanent, chacun se parle, nous parle mais jamais ne se touchent ni ne se répondent, ils ne se croisent plus, telles des ombres silencieuses d’un autre lointain. Chacun y joue sa vie, sa force politique, son poids de révolte, sa drôlerie et fragilité. Personne ne compte sur personne.
Une construction burlesque nous enfermera, puis un mur de cartons s’écroulera « L’écroulement de la baliverne... »... Tout est en nous, en dehors de nous, par nous, pour nous, contre nous, personne n’a voulu ça et pourtant.
Un jour l’échafaudage s’écroulera aussi « Prochainement, dans le futur, dans l’avenir, demain, bientôt... » entrecoupé d’une mélopée de l’île, subtile et si joliment rythmée « mégot, papier, cartons, chewing-gum, mégot, papier... », une musique échafaudée, lorsque tout s’écroule.
À nous de lire COURAGE écrit en grand, battant, éclairé comme pour nous prévenir et nous en donner gros le cœur."
Daphné Bitchatch
"Création d'un nouveau lieu alternatif parisien où, entre Shakespeare et l'air du temps, le constat de la désespérance présente s'arme d'humour pour nous inciter à faire face.
Caché au fond d'une cour industrieuse du Xe arrondissement, ce qui fut un atelier de fabrication de petites cuillères est devenu un théâtre. Comète 347 a des allures de caverne dans un capharnaüm de rebuts de pièces rouillées.
Sous les sheds, on découvre une fosse qui en d'autres temps avait des vertus électrolytiques, qui aujourd'hui contient la scène à deux mètres en contrebas des bancs du public. C'est de là, et sur sept mètres de haut, que se dresse un échafaudage de tubes emballé de voiles translucides dans un patchwork de sacs plastique bleus, blancs et rouges.
Accrochés à cette mature de fortune, les acteurs déambulent sur la structure, se jouant de la métaphore navale pour dire les errements d'un bateau en perdition qui n'est autre que notre chère France. En ouverture, une dédicace au Frigging in the Rigging des Sex Pistols : "Baiser dans les cordages, baiser dans les cordages, il n'y avait rien d'autre à foutre." A l'hymne de marins version délicieusement porno trash du Chant des sirènes se superposent les flashs d'infos d'une radio répondant au doux nom de Fréquence Prospère. La litanie à peine déformée d'une chasse aux terroristes étendue à tous les clandestins, et quelques autres joyeusetés si proches de notre quotidien.
Michael Ghent revendique La Tempête comme source d'inspiration, évalue notre situation en se positionnant sur l'île du magicien Prospéro longtemps après la mise en échec de ses charmes. Se réappropriant la célèbre formule de Shakespeare sur l'air de "Nous sommes de l'étoffe dont les cauchemars sont faits", cette dérive s'empare de nos désenchantements pour nous rappeler qu'on n'est pas tout seul dans cette galère.
Au coeur des pires constats, l'humour souvent a valeur de planche de salut. Et la consigne apparaissant sur un panneau lumineux durant le spectacle restera éclairée alors qu'il a pris fin. "COURAGE", un seul mot qui en dit long sur l'état d'esprit de ceux qui viennent de saluer, et sur le pain qui reste sur la planche avant de réussir à sortir de ce guêpier.
P.S. - Les inrockuptibles (du 28 au 24 Septembre 2007)
répétitions